Le Roman de Marine
(inachevé...mais la suite est en cours d'écriture !)
*1*
Dix-neuf heures. J’étais encore en retard, elle allait s’inquiéter.
Ma fille était bien la seule personne pour qui j’aurais donné
ma vie, bien qu’elle ne valait plus grand-chose à présent.
J’appuyai sur l’accélérateur. Je me souvins de l’inspectrice
qui m’avait fait passer mon permis. Elle disait que j’avais tendance
à rouler trop vite, qu’il fallait que je fasse attention.
Mais il fallait que je sois rentré assez tôt pour lui préparer
son dîner. Je lui ferais des crêpes au fromage, elle adore ça
et le congélateur en regorge. Ah ! Ma petite Zoé… C’est
ce que j’aime le plus chez toi : ta simplicité.
Une pluie verglaçante commençait à tomber. La route glissait.
Dans le fossé, un scooter était couché. Quelle idée
de sortir en scooter par un temps pareil !
Lorsque j’arrivai sur le pas de la porte, elle me sauta dans les bras
:
« -Papa ! »
Sous le choc, je fis tomber ma mallette.
« -Excuse-moi… Je crois bien que c’est fragile… Dis
papa, qu’est-ce qu’il y a dans ta mallette ? Hein papa ? Allez,
dis ! Elle insistait.
-C’est un gros appareil photo, mon petit.
-Oh… »Ses grands yeux bleus s’arrondirent avant qu’elle
ne fasse demi-tour et qu’elle aille se rasseoir sur le fauteuil de cuir,
devant la télévision.
Je déposai mes affaires sur la chaise de l’entrée.
« -Papa ? Tu me fais des crêpes, ce soir ?
-Et le mot magique ? lui demandai-je avec un sourire.
-Je t’aime… » me répondit-elle.
Je la regardai avec toute la douceur dont un homme tel que moi était
capable. Elle regardait le journal télévisé. Ne devant
comprendre que la moitié des mots prononcés par le présentateur,
elle buvait ses paroles. On montrait un homme échappant de justesse aux
forces de l’ordre lorsque je sortis de la pièce pour aller préparer
les fameuses crêpes.
Le crépitement de l’huile dans la poêle me rappelait ma belle
enfance, lorsque ma mère faisait cuire des galettes de pommes de terre.
Elle m’avait plongé dans la solitude la plus noire en m’envoyant
dans cette pension de redressement. A ma sortie, elle en avait bavé.
Je tiens cette rancune de mon père. Enfin, il paraît, je ne l’ai
vu qu’en photo. C’était un homme imposant, à l’air
hautain.
« Zoé, à table ! l’appelai-je lorsque les crêpes
furent bien dorées.
- J’arrive papa ! » Me répondit-elle de sa voix fluette,
si différente de la mienne.
Elle arriva en courant, ses petites couettes blondes au dessus de chacune de
ses oreilles se balançant au rythme de ses pas. Elle bondit sur sa chaise
pendant que je lui servais son plat préféré.
« Merci papa ! »
Pendant quelques instants, un silence royal s’installa entre nous. C’était
rare, mais devant de succulentes crêpes industrielles, le cerveau était
concentré sur le plaisir que lui transmettaient les papilles. Lorsqu’elle
eut fini la première, elle releva enfin sa petite tête ronde :
« -Papa, tu sais, les informations disent, qu’en se moment, il y
a un méchant monsieur qui est dans la ville. Ce monsieur, il tue des
gens. Les informations disent que le monsieur il est grand, qu’il porte
un chapeau rouge, un manteau qui traîne presque par terre et une écharpe
pour ne pas qu’on le reconnaisse.
- Oui, j’ai entendu, ils en parlaient aussi à la radio. Mais tu
sais, la Police va bientôt l’attraper, la rassurai-je. Il ira en
prison avec les autres méchants.
- Ah, heureusement, parce que moi, je n’aime pas les méchants.
»
Je lui souris : elle me le rendit avant de prendre la crêpe restant dans
son assiette. Mignonne, simple et naïve, telle une pâquerette dans
un pré verdoyant. Une image dont je rêvais si souvent…
Derrière la fenêtre, l’obscurité froide de l’hiver
et la neige qui tombait en volutes faisait de cette saison la période
de la peur, du danger, mais aussi de la pureté. Une qualité que
l’on attribue que rarement à un être humain. Zoé faisait
partie de ceux qui en bénéficiaient.
Mon téléphone me sortit de mes pensées. Je décrochai
:
« - Oui ? Ah, c’est vous. Très bien. J’arrive immédiatement.
»
J’embrassai ma fille sur le front alors qu’elle finissait de manger.
Je lui murmurai à l’oreille :
« - Papa s’en va. Il va revenir quand tu seras couchée, alors
il va fermer la porte pour que tu puisses être tranquille. Tu iras te
coucher dès que tu auras fini de manger, d’accord ?
-Oui, papa, confirma-t-elle d’un air triste.
-Bonne nuit, Zoé.
-Je t’aime, papa.
- Moi aussi, ma chérie. Dors bien. »
Je l’embrassai une dernière fois avant de me rendre dans l’entrée.
J’enfilai mon duffle-coat noir, m’emmitouflai dans mon écharpe,
me coiffai de mon bonnet écarlate et pris ma mallette avant de sortir
dans la nuit glaciale, retournant à mon travail de l’ombre.
*2*
Ma vieille Fiat m’attendait, toujours fidèle à son poste.
Une épaisse couche de neige recouvrait désormais son toit habituellement
rouge.
Je grimpai à l’intérieur et posai avec délicatesse
mon outil de travail sur le siège passager. Encore une nuit blanche venait
s’ajouter aux nombreuses autres passées en compagnie de Mariette.
Elle n’écoutait que moi. Ni le bon Dieu, ni Dame Nature, ni la
Raison. Sauf celle du plus fort, peut-être.
Déjà la haute silhouette d’un immeuble de l’époque
industrielle se dressa devant nous. J’arrêtai la voiture et sortis,
laissant Mariette seule un moment.
Cette même porte d’acier, depuis dix ans déjà, ouvrait
un monde nouveau, où les rêves n’existent plus.
« - Silver ! »
Ce même nom que je portai depuis plus d’une décennie. Une
même voix, toujours la même. Avec un fort accent du Haut-Doubs.
« - Silver ! »
Second appel. L’Homme de Noir, c’était son nom, venait à
ma rencontre. Chapeau, lunettes, veste, pantalon. Tout de noir vêtu il
était. Cependant, une fine pellicule de neige apparaissait sur son blouson.
Le lustre rustique s’agita, certainement suite au passage d’une
personne à l’étage supérieur.
« -Silver. Voici pour vous. Bonne chance. »
C’était toujours rapide. Il me glissa une enveloppe de papier kraft
et s’en retourna aussitôt. Je fis de même et allai me rasseoir
dans ma voiture. Mariette était toujours là. J’ouvris l’enveloppe.
Les ordres d’en haut.
Silver,
Un homme de la bourgeoisie parisienne, portant le nom de Romain De Garey, a
livré une forte somme en liquide pour l’assassinat de Mathilde
De Garey, sa femme. Simple histoire de vengeance. Cette mission vous est attribuée.
Comme à l’habitude, le travail devra être propre, rapide
et discret. Si les conditions le permettent, maquillez cet assassinat en suicide,
sinon, emportez le corps avec vous.
Les informations indispensables au bon déroulement de la mission se trouvent
ci-après. Veuillez prendre soin de détruire cette lettre après
en avoir pris connaissance.
Domicile de la cible : 5, rue de la Paix, Paris
Age de la cible : 47 ans
Physique de la cible : cheveux noirs, yeux verts, lunettes rectangulaires à
monture violette. Corpulence forte. Femme de petite taille.
Signes particuliers de la cible : Allergique à l’arachide. Possède
un Bichon blanc.
Encore une de ces pauvres femmes dont le mari est tellement avide
d’argent qu’il n’hésite pas à la faire assassiner
pour récupérer sa fortune… Que le monde est cruel. Comme
quoi, l’argent contribue au bonheur… Mais aussi à la barbarie.
Quarante-sept ans, yeux verts. Petite, ronde, porte des lunettes violettes.
5, rue De la Paix. Cheveux noirs, allergique à l’arachide et possède
un bichon blanc. Je détruis la lettre et la fourrai dans le cendrier
avant de redémarrer. Je retournai chez moi déposer ma Fiat, pris
ma mallette puis m’engouffrai dans le métro. Toujours cette odeur
d’œuf pourri.
Une jeune femme, voilée, regardait Mariette avec attention. Elle avait
l’air troublé. Un gamin turbulent aux allures de Gavroche lui tenait
la main. Je descendis à l’opéra. Il y avait une séance,
une longue file de personnages emmitouflés dans leur cafard patientaient
devant les portes. Si, comme eux, j’étais riche, j’emmènerai
Zoé à chaque séance pour lui faire comprendre la beauté
des choses.
J’attirai leurs regards furtifs. Je me dépêchai alors de
traverser. Il fallait faire vite. Je ne supportais pas de laisser Zoé
seule, surtout la nuit. Voilà deux soirs que je sortais, cette semaine,
cela m’ennuyait, mais je ne pouvais faire autrement.
Il me fallait une fenêtre, ouverte, et pas trop haute, de préférence.
Une baie vitrée au premier étage ; voici ma chance. Je pris Mariette
par la bretelle et, tout en la portant d’une main, je grimpai en m’aidant
de la zinguerie. J’espérais qu’elle soit assez solide, de
façon à ce qu’elle supporte mon poids et celui de Mariette.
Le mur était glissant, il s’agissait de ne pas faire de faute de
pas. J’avançais prudemment le long du rebord, tout en me tenant
à la gouttière. Si un oiseau était passé à
mes cotés, il aurait suffit à me faire tomber. Je ne suis pas
un professionnel de l’infiltration clandestine. Je préfère
rentrer par la porte, accomplir mon travail et ressortir par cette même
porte. Autant dire qu’à Paris, cela est impossible, à moins
de connaître un habitant de l’immeuble ou de se faire passer pour
le facteur.
Je rentrai donc par la porte-fenêtre, qui donnait dans une chambre de
grand luxe, bien différente de la mienne : lit à baldaquin sombre,
bureau Louis XVI, parquet ciré à la perfection.
Un long corridor ouvrait la voie pour me sortir d’ici. Des bruits, une
télévision, et des gens parlant à voix haute provenaient
sans doute de la pièce voisine. Je vérifiai en collant mon oreille
au mur : j’entendis alors distinctement leurs voix :
« -Il ne s’agit pas, ici, d’un cas sans importance, Marius.
Il faut s’en occuper sérieusement.
-Mais comment veux-tu faire ? Comment peut-on prévoir quand il sortira
? »
Certainement encore des problèmes entre ados et parents. Si je vis assez
vieux pour connaître ma petite Zoé ainsi, je lui expliquerais clairement
ce que j’attends d’elle, ce que je veux qu’elle ne fasse pas,
ou encore les conditions.
Il fallait sortir d’ici. Je me faufilai, avec un pas feutré, jusque
vers la porte d’entrée. J’abaissai le plus délicatement
possible et de sorte que l’on entende encore les mouches voler, abaissai
la poignée, poussai la porte, puis la refermai avec douceur.
Le couloir était désert. Long, et peu large, et avec, pour seul
éclairage, une applique dorée oxydée par le temps. Il me
fallait une fenêtre, une seconde. J’en cherchai une sur le couloir
du premier étage. J’en trouvai une, mais condamnée. Je montai
rapidement les escaliers qui menaient au second.
Voilà ma chance !!
Environ cinquante mètres me séparaient des immeubles d’en
face. J’eus vite repéré ma cible. Assise dans un fauteuil
de cuir rouge, devant la fenêtre voisine, mais juste en dessous. Parfait.
Cela m’arrangeait, ça prendrait moins de temps que prévu,
et Zoé resterait seule moins longtemps.
Je sortis Mariette de son étui. Je caressai son canon, qui, plus d’une
fois, m’avait sauvé. La froideur de son acier, brillant même
dans l’obscurité, réchauffait mon cœur de pierre.
Je choisis une balle d’argent, que je chargeais dans le dos de Mariette.
Mes mains tremblaient. Mes jambes aussi. Il y avait un angle d’environ
quarante-cinq degrés entre moi et la fenêtre inférieure
d’en face. J’épaulai Mariette, posai un genou à terre.
Son canon posé sur la fenêtre ouverte, j’appuyai mon œil
contre le viseur. Je ne tremblais plus. Sentir Mariette si près de moi
m’avait rassuré.
Je pouvais presque sentir la respiration de ma cible. Je saisissais le moindre
de ses mouvements. La chose que l’on ne peut ressentir dans ces jeux vidéo,
pourtant si proches de la vérité.
Zoé. Je t’aime.
Si elle savait…
Je bloquai ma respiration. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. Quatre
secondes. Cinq secondes.
Le bruit la fit se retourner. La balle l’atteignit avant que je n’aie
pu voir s’éteindre la lumière dans ses yeux.