Le Roman de Marine

(inachevé...mais la suite est en cours d'écriture !)

 


*4*


Sept heures. Mon réveil sonna et me tira de ce que l’on pouvait appeler « bien-être ». Il fallait que je réveille ma petite Zoé pour l’emmener à l’école. Ma nuit fut tourmentée, comme à l’habitude. Des rêves étranges, où je tombe, tombe sans jamais m’arrêter, ne pouvant attraper les branches qui s’offrent à moi.
Je pris Mariette avec moi, mais la laissai dans le coffre de ma vieille Fiat, qui tenait toujours la route, même sur les dix centimètres de neige tombés durant la nuit. Je déposai Zoé devant son école, puis l’embrassai.
Je n’avais rien d’autre à faire de la matinée. Je descendis de la voiture et me dirigeai vers la Seine. J’avais besoin de voir de l’eau. Quelque chose de fluide, avec une vie loin du néant. Mais l’eau ne vit pas. Pourtant, elle bouge. Je restai sur la place Jean Paul II jusqu’à midi.
Je me demandais comment j’allais pouvoir finir le mois. Ce n’est pas les cent cinquante euros du meurtre de la rue de la Paix qui allaient me permettre de vivre et de payer les factures d’eau et de téléphone.
Mon portable sonna. Avec espoir, je décrochai. C’était bien l’Homme de Noir.
« -Bonjour, Silver.
-Oui ?
-Partez.
-Quoi ? Mais qu’est-ce que c’est que ces…
-Partez ! Partez loin d’ici ! Les flics savent qui vous êtes ! Ils connaissent votre appartement ! Fuyez !
-Mais vous êtes fou ! Complètement fou ! Vous croyez que je vais abandonner Zoé ? Jamais ! Vous m’entendez ? Jamais, jamais je ne l’abandonnerai ! C’est ma fille, mon unique enfant ! Vous avez été incapable d’en élever un, à ce que je sache ! Vous savez, le petit garçon qui a été confié aux services spéciaux ! »
Je lui raccrochai au nez. Je croyais ce qu’il avait dit, mais j’étais dans l’impasse ; je ne pouvais strictement rien faire. Je ne demandai tout de même comment ils auraient pu savoir où j’habitais ; ma pauvre et misérable chambre sous les toits pouvait être considérée comme un grenier. Je ne payais pas de taxe d’habitation.
Il me fallait récupérer Zoé le plus vite possible. Je sautai dans ma Fiat, fis rugir le moteur et se dirigeai vers son école. Je me garai à proximité, et, remarquai une seule vieille mamie étrange dans la rue. Je sortis rapidement, commença à courir puis, au passage, volai le sac à main de la vieille dame. Sous le choc, elle bascula par terre. Je pris soin de ne pas la regarder. Je le fourrai sous mon manteau long et rentrai dans la cour de l’école primaire. Je pénétrai dans l’unique salle de classe, et, après avoir justifié, par un mensonge signifiant que Zoé devait aller chez le dentiste, emmenai ma fille avec moi.
«- Mais Papa… Pourquoi tu m’as pas dit que je devais aller voir le dentiste ? me demanda-t-elle.
- Ce n’est pas vrai, Zoé. Je ne t’emmène pas chez le dentiste. On va en vacances ! lui annonçai-je d’un air réjoui.
- Mais pourquoi tu ne l’as pas dit à la maîtresse, alors ?
- Ca… Ca ne te fait pas plaisir ?
- Mais si, mais si… Mais j’aime pas quand on part si vite… On va où, alors ?
- On va en Suisse, Aiko !
- Aiko ?
- Ah, oui, cela veut dire « petit amour » en japonais.
- Oh…. C’est beau… »
Ses yeux d’un bleu intense s’arrondirent. Ils étaient magnifiques. Ils me la rappelaient tant…
Elle monta dans la voiture puis s’assit à l’arrière.
« - Papa ?
- Heu oui ?
- On n’a pas d’affaires ?
- Non. J’ai décidé qu’on partait en explorateurs !
- Génial ! On va dormir dans la nature, alors ?
- Oui. Et on va même manger du bison. Grrrr !
Elle riait aux éclats. Tant mieux. Je ne voulais en aucun cas éveiller le moindre soupçon en elle. Si jamais il lui arrivait quelque chose…
Il faisait déjà nuit lorsque l’on s’arrêta sur une aire de repos pour manger un peu. Il devait être aux alentours de huit heures ; la puce dormait profondément. Je la laissai le temps d’aller chercher de quoi grignoter. J’ôtai mon chapeau et mon écharpe.
A la boutique, la caissière me dévisagea ; de telle manière qu’on aurait dit qu’elle était amoureuse, ou pire, qu’elle me reconnaissait. J’espérais la première hypothèse en allant réveiller Zoé. J’ouvris délicatement la porte de ma poubelle de voiture puis embrassai mon Aiko. Elle eut un léger mouvement de tête puis se tourna vers moi.
« -Tu croyais que j’étais morte ? »
Je me demandai pourquoi elle avait soudainement des pensées si noires.
« - Oui, j’étais justement allé chercher le diable pour qu’il t’emmène en enfer avec lui.
- En vrai de vrai ?
- Mais bien sûr que non, petit monstre ! Je suis allé nous chercher à manger !
- Ah, j’ai eu super peur, Papa ! Heureusement, parce que je commençais à avoir un peu faim ! T’es Superpapa, en fait. Je crois que j’ai déjà remarqué.
Je souris. Elle était fière de sa constatation, et, pour me le montrer, où peut-être pour se prouver à elle-même, je ne sais pas, me sauta sur le pied en sortant de la voiture.
« - Aïe !
-Ah… Ben t’es pas Superpapa, alors, si t’as mal comme ça quand on te marche dessus, dis.
Elle s’installa à une table à l’intérieur, juste derrière la boutique où j’avais acheté le repas. Je posai les sandwiches sur la table puis me baissa pour refaire le nœud de ma chaussure. Une photo glissa alors de ma poche intérieure pour se retrouver face contre terre. Zoé fut plus rapide que moi.
« - Papa ? C’est qui la dame de la photo ?
- C’est… » mais je ne terminai pas ma phrase. Je sus qu’elle avait compris. Les mêmes yeux bleus malicieux, la même cascade d’or qui lui tombait sur les épaules. Un visage aux traits fins et un nez, légèrement relevé, était identiques aux siens.
Elle était surprise. Moi aussi ; je m’attendais, telle que je la connaissais, à recevoir beaucoup de questions à se sujet. Cependant, elle dit juste :
« - Elle était belle, Maman. »
Je m’en voulais de ne pas avoir caché cette photo. Je ne désirais pas que Zoé sache comment elle était décédée. Je ne voulais pas mentir encore une fois.
Le repas se termina en silence, comme derrière des barreaux, où le gardien serait le tabou.
La nuit était lourde, pesante. Elle écrasait par sa noirceur et elle était glaciale. Zoé me prit la main et posa sa tête contre mon bras sur le chemin qui menait à la voiture.
Nous passâmes la nuit ici. J’avais replié la banquette arrière et abaissé les sièges avant, ce qui nous laissa une place assez confortable. J’avais deux couvertures ; je donnai celle de laine à Zoé et conservai celle de coton. Nous étions tout les deux couchés vers neuf heures.
« -Papa ?
- Oui ?
-Tu m’aimes ?
-Mais… »
Je fus pris sur le vif. En aucun cas je ne m’attendais à une telle question. Elle poursuivit, avant de se tourner face à la vitre :
« - Tu ne m’aimes pas. Je le savais. Sinon tu m’aurais montré maman avant que je ne trouve sa photo.
- Zoé… Si seulement c’était aussi simple…
- J’ai toujours pensé que tu étais le roi des papas. Et bien non, même pas.
- Ta mère était une personne merveilleuse, tu sais. C’était ton portrait parfait. Exactement. Les mêmes yeux, du même bleu. Si je t’aurais dit ce qu’il lui était arrivé, tu…
- Je t’en veux déjà. Et je risque de t’en vouloir encore plus.
- Je ne t’ai rien dit, parce que je pensais que tu n’allais pas comprendre que ta mère était partie, et, surtout, qu’elle n’allait jamais revenir. »
Elle se tourna vers moi, avant de m’annoncer :
« - Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas de Maman. A l’école, mes copines en ont toutes une. Je ne comprenais pas. Je pensais qu’elle nous avait abandonné. Mais comme tu as gardé sa photo, c’est seulement tout à l’heure que j’ai pensé que ce n’était pas ça. Que ça ne pouvait pas être ça. »
Les yeux de Zoé brillaient à travers la nuit. Je sentais mon regard s’humidifier, mais je retins mes larmes. Je me lançai alors dans les explications que je lui devais depuis bien longtemps.
«- C’est arrivé il y a plus de cinq ans. Tu étais encore un tout petit bébé. Maman était partie t’acheter des couches. C’était un samedi soir d’avril et on venait de s’apercevoir que Sousse, notre chienne que l’on avait à l’époque, venait de toutes les dévorer. Il y en avait partout dans l’appartement, c’était un vrai carnage. Donc, pendant que je nettoyais les kilos de morceaux de couches un peu partout dans l’appartement, Maman était partie au magasin. Elle était à pied. Deux heures après qu’elle soit sortie de la maison, j'ai commencé à m’inquiéter, le supermarché n’était pas très loin. »
Elle suivait mon récit avec passion. Je me souvenais des moindres détails.
«- Je t’ai alors installée dans la poussette, et nous sommes allés au supermarché, à sa rencontre. La nuit tombait. Sur le chemin, il n’y avait aucune trace d’elle. Ni au supermarché, d’ailleurs. Nous sommes donc rentrés, moi totalement paniqué, et toi, n’ayant aucune idée de la situation. Une fois à la maison, j’ai prévenu la gendarmerie qu’elle avait disparue. On a alors affiché des avis de recherche dans tout Paris et même un peu partout en France, deux jours après. On en a même parlé à la télévision. Deux semaines après, les gendarmes sont passés à la maison. Tu t’amusais, je me souviens, avec la barbe du plus vieux. Et, ce soir du vendredi 18 avril, ils m’ont annoncé que, le matin même, on l’avait retrouvé morte d’une balle dans la tête, au fond de la Seine, devant Notre-Dame. »

Le Dur d’Argent pleurait. Je pleurais. Une personne ayant pour métier de briser le cœur des gens s’écroulait de tristesse. J’en avais la nausée. Comme si cette haine envers moi-même remontait en traversant mes entrailles et en labourant mon estomac.
J’étais persuadé qu’elle était morte par ma faute. J’étais déjà tueur à gages à cette époque, et avec le jeu des mafias parisiennes, j’avais beaucoup d’ennemis. En particulier de la part d’un clan de trafiquants de drogues, dont je m’étais chargé du cas du leader. Etant trop bien protégé, par mon propre gang, ils décidèrent de s’en prendre à une personne beaucoup plus faible de mon entourage, pour qui j’aurais donné ma vie.
Zoé pleurait à chaudes larmes. Je la serrai contre ma poitrine, comme l’aurait fait une mère, puis l’entoura de mon manteau. Ses larmes tombaient sur mon pull tandis que les miennes se noyaient dans un océan d’or.
Jamais on n’a prouvé que ma femme ait été assassinée par un mafieux. Les autorités ont toujours affirmé qu’elle avait été tuée par « X ». C’est ce qu’elles font, lorsqu’elles ont trop de travail pour mener leur enquête à terme. De toute façon, ce n’était pas grave, puisqu‘elle avait un cancer du poumon. Elle était de toute manière condamnée. Encore une chose que les gendarmes m’ont annoncé après que le corps soit passé à la morgue. C’est une visite très plaisante. «Bonjour. Nous sommes venus vous informer qu’après avoir réalisé une radiographie des poumons de votre conjointe afin de déterminer la raison de sa mort, nos médecins légistes ont découvert qu’elle possédait une tumeur maligne au niveau du poumon gauche. Nous avons pensé qu’il était bon de vous en informer. Si cela vous affecte plus qu’il ne devrait, veuillez nous excuser de vous avoir transmis cette information. »
Je me souviens encore de la tête ronde du gendarme et de ses lunettes rectangulaires. Il était très sérieux, possédait une petite moustache d’un noir de jais. Des traits asiatiques lui donnaient une originalité par rapport à ses collègues. Il parlait rapidement d’un langage très développé, qui apparemment, impressionnait ses supérieurs qui l’accompagnaient.
A cette période, mon « double » n’était pas encore recherché. Je commettais déjà des meurtres sous les ordres de l’Homme de Noir. Mon béret rouge, mon duffle-coat noir ainsi que mon écharpe n’étaient pas encore connus des services spéciaux.
Zoé leva la tête vers moi. Ses yeux de ce bleu si intense étaient encore humides. Je lui avais dit la vérité. Je lui avais raconté toute l’histoire. J’en avais juste extrait ce qui me rattachait à une certaine culpabilité dans cette affaire ainsi que mon implication dans le métier de tueur à gages.
« - Dis Papa… Comment elle s’appelait, Maman ?
- Elle s’appelait Clara.
- C’est joli, comme nom, ça. Comme elle, en fait. Ca fait penser à une princesse. »
Je souris. Mais d’un sourire vide, sans joie. Il y a des instants, où, la tristesse est volumineuse ; elle prend tellement de place dans un tiroir qu’il y est difficile de la ranger ; on ferme alors ce tiroir comme on peut, et tant pis si cela déborde.
J’aime Clara à travers Zoé ; cette ressemblance, tant de physique que de caractère, permettait de faire un lien entre elles deux. Clara jeune était la jumelle de Zoé et Zoé mère serait certainement la jumelle de Clara. Quelque part, cela paraissait peut-être un peu malsain, d’aimer sa femme, morte, à travers ce qu’il reste d’elle.

Par la fenêtre de la voiture, on voyait très bien les étoiles. En cet instant, puisque j’étais le roi des papas, j’aurais voulu être un enfant ; pour croire, comme dans le dessin animé, que les membres de la famille royale devenaient des étoiles après leur mort.
Je crois que Clara est une très belle étoile.